Mon grand-père a fait les Halles plusieurs nuits par semaine, pendant toute sa vie de charcutier. Je lui dédie ce billet. Une magnifique expo qui met des images sur tous les récits de mon enfance. Maman, tu partageras ces photos avec lui dans ton cœur…  A mon pépé Mornas.

Dans mon esprit, Doisneau a été, jusqu’à présent, le Josée Dayan de la photo. Ca fait bien le job, c’est cliché mais juste ce qu’il faut, pas trop de profondeur, et ça plaît à tout le monde. Je rappelle que ce n’est pas un critère éliminatoire pour moi. J’adore, je ne dis pas le contraire, mais je ne voyais pas l’artiste derrière la vitrine. Juste un bon photographe. Puis, les aveux sur la mise en scène du fameux baiser, j’avoue, ça n’a pas aidé. Voilà mon état d’esprit en arrivant mercredi dernier à l’ouverture de cette exposition gratuite de l’Hôtel de ville de Paris. Vous vous doutez bien que si j’attaque comme ça, c’est que j’ai changé d’avis et que j’ai percé un peu plus le mystère « Robert Doisneau ». Pour mon plus grand bonheur et peut-être le vôtre…

Paris est un théâtre où l’on paie sa place en temps perdu … Ca commence bien, il râle ! Premiers clichés dans ce quartier en 1933, un retour en 1945/1946 ; ses prises de vue seront de plus en plus fréquentes dans les années 50, pour devenir hebdomadaires dès 1960, à l’annonce de la destruction du ventre de Paris. Des conditions difficiles: la nuit, en hiver, pas de lumière. Mais il s’y tient, et offre un travail énorme de ce lieu de vie à part, aujourd’hui disparu.

Tout au long de l’exposition, on passe des vues en perspective aux détails de l’architecture de Baltard, sans oublier les portraits de tous ces corps de métiers, vestiges d’une époque révolue (Rungis modernisé, ça n’est plus la même chose, faut pas se leurrer…). La majorité des clichés est en noir et blanc : j’aime, ça me plonge vraiment dans un monde loin du mien. Les rares en couleur ont tout de suite moins de charme : trop réaliste, trop criard, je veux encore croire que ma mère, enfant, voyait ce monde en bicolore. Le jour, la nuit, les fêtes de Noël et les doux printemps émaillent le parcours.

Le carreau de jour...
...et de nuit.
Fin de soirée aux Halles qui s'éveillent ^^

Portraits posés ou saisies spontanées de personnages, toutes ces photos vivent d’un seul regard. Une ville dans la ville, avec ses codes et ses adoptés. Ce monde de la nuit voit la putain de la rue Saint-Denis côtoyer la riche cliente Dior en goguette. Des fêtards venus voir l’aube se lever au milieu des petites gens, aux glaneurs attendant la fin du marché pour ramasser les restes, toute la société se côtoie et se tutoie, autour de ce qui fait la vie : manger et boire !

On a tout de suite beaucoup d’amour et d’empathie pour ses travailleurs de la nuit, forçats pour quatre sous, à manutentionner et organiser des tonnes d’aliments, fleurs et autres denrées. Ca peut faire « misère » mais en vérité c’est un monde gai, malgré la peine du travail, tel que me le racontait mon pépé. Ça se retrouve dans les légendes de Doisneau, comme cette bonne-sœur tirant un chariot, photo nommée : « Cornette endiablée ». Mais c’est qu’il ne manque pas d’humour Robert, finalement ! Un peu plus loin, nous croisons une précieuse des beaux quartiers emmitouflée au milieu d’un étalage de chou-fleurs : « Fourrure et cageots ».

Des caves surprenantes...Vous prendrez bien un petit crâne, madame!

Et le cheminement des salles nous en apprend un peu plus sur l’agencement des dix pavillons Baltard, construits aux milieux du 19ème siècle, sur « le carreau », qui par définition est l’ensemble des étals à l’extérieur des bâtiments, et sur les métiers propres aux Halles : les Forts, les Tasseurs, les Louchebems (les bouchers en argot) et l’apparition des fameuses Pataugas, car les semelles étaient modelées en faisant fondre de la pâte de caoutchouc au gaz. « Pâte au gaz » devient Pataugas… Avouez que vous les aimez ces petites histoires de rien qui font la vie ^^. Non ? Bah moi, j’aime ça et pis c’est tout !

Fort à la cigarette (1967)

Petit à petit, on se rapproche de la date fatidique de mars 1969 et du déménagement définitif vers les bâtiments cubiques et impersonnels de Rungis. Doisneau en conçoit une vraie peine : Paris perd son ventre et un peu de son esprit . Il sera présent au démantèlement des pavillons, aux présentations des différents projets, à l’inauguration de Rungis et, 10 ans plus tard, à celle du Forum. Je découvre avec curiosité les projets proposés en 68, dont l’un qui est presque la copie conforme de l’énorme vaisseau de l’Empereur dans Star Wars (la première trilogie, of course !). Les clichés relaient vraiment le sentiment de dégoût du photographe. Que ce soit le trou béant des Halles au milieu des années 70, tel un cimetière indien profané (Saint-Eustache, priez pour ces âmes parties sans en avoir le choix) ; au regard triste et perdu de cet homme au milieu d’un des bâtiments de Rungis, dernière photo de l’expo. Un monde s’en est allé pour cause de modernité… Pas sûre qu’on est vraiment gagné dans cette histoire…

Oiseaux funestes au-dessus de la dépouille des Halles éventrées...

Les clichés de Doisneau s’affichent aussi en grand, à la station Hôtel de ville (ligne1)

Et pour le lien de l’intégralité du web documentaire de Vladimir Vasak présenté en fin d’expo sur Doisneau Paris les Halles, vous cliquez ICI ^^
Exposition Doisneau Paris les Halles (208 clichés) : Hôtel de ville de Paris
Du 8 février au 28 avril 2012 . Entrée gratuite
10h/19h sauf dimanche et jours fériés